Mémoire vive, pour orchestre (1988-89)

J'avais, à propos de l'une de mes pièces, employé la formule: "parcourir un trajet dont chaque étape nous est familière". Cette oeuvre pour grand orchestre, ou plus exactement trois petits orchestres, est conçue comme un long trajet qui semble, au premier abord, nous conduire toujours vers un nouveau territoire sonore. Pourtant, si l'auditeur fait appel à sa mémoire, il s'apercevra qu'il a déjà entendu chaque élément nouveau du trajet, et que l'oeuvre entière est organisée à partir d'un nombre restreint d'éléments. On pourrait parler de "leitmotivs" qui seraient ici, non pas des motifs mélodiques particuliers, mais des "processus" d'engendrement ou de transformation des "matières sonores", voire des "gestes" reconnaissables qui ordonnent la forme de l'oeuvre.La mémoire de l'auditeur est ainsi constamment sollicitée en même temps que son attention" (au sens psychoacoustique du terme) qui lui permettra d'interpréter, comme il le souhaite, les divers moments de la pièce conçus comme de véritables "anamorphoses" sonores. Sur un plan plus technique, j'ai tenté de développer dans cette pièce des principes d'organisation polyphonique que j'avais mis au point en 1986, dans "Pour l'Image".Si ces principes d'organisation mélodique et polyphonique me convenaient en raison de leur aspect contraignant, l'utilisation que j'en avais faite me semblait un peu trop mécanique. Aussi ai-je essayé, dans Mémoire vive, de contrarier cet aspect en appliquant des contraintes supplémentaires, et cette idée m'a conduit à élaborer ce qui constitue aujourd'hui l'un des principes de base de mon travail, la superposition de processus perceptibles. C'est donc avec cette pièce que j'ai, pour la première fois, superposé un grand nombre de processus différents, l'un ayant pour fonction de gérer l'ambitus des intervalles, un second l'organisation mélodique, un troisième l'interpolation des timbres instrumentaux, un quatrième la spatialisation de ces timbres, etc. J'ai par ailleurs écrit dans Mémoire vive un passage polyphonique que j'ai déduit d'une expérience psycho-acoustique (streaming) qui montre que la perception d'une séquence sonore est modifiée par son accélération, car l'oreille tend alors à regrouper différemment les signaux acoustiques qu'elle reçoit. L'on entend en effet dans Mémoire vive une polyphonie à quatre voix dont l'accélération génère des couches sonores supplémentaires qui, alors progressivement orchestrées, finissent par gagner les quatre-vingt instrumentistes de l'orchestre. Enfin, la superposition des processus m'ayant conduit à appliquer des contraintes aussi bien aux mélodies, à l'ambitus, au rythme, à l'accélération ou au tempo qu'à l'orchestration ou même à l'espace — puisque l'orchestre est divisé en trois groupes distincts placés à gauche, au milieu et à droite de la scène — , j'espère avoir obtenu, avec Mémoire vive, ce que je rêvais depuis longtemps, à savoir une cohérence entre les différents paramètres mis en jeu. Ce travail s'est poursuivi à l'aide de l'ordinateur à l'IRCAM en 1990, où j'ai pu écrire "Six miniatures en trompe-l'œil" , dont certains passages ont été réalisés avec le programme CARLA, implémenté par Francis Courtot.

Je dédie "Mémoire vive" à Catie, Raphaële, Thibault et Pierre.

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